De la cartographie numérique aux schémas électriques : la précision des plans au service de vos installations en Belgique

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Introduction : quand dresser une carte revient à dérouler un câble

Bien avant le GPS et les cartes interactives, chaque chantier débutait par un plan : traits rouges pour les murs porteurs, traits bleus pour le sanitaire, et symboles normalisés pour l’électricité. Aujourd’hui le calque a cédé la place aux tuiles web, aux modèles BIM et aux bases PostGIS, mais l’objectif reste identique : comprendre l’espace avant d’y intervenir.

En Belgique, la version 2024 du AREI renforce cette exigence de précision. Là où le géomètre raisonne en Lambert 72, l’électricien pense en sections de câble, en chutes de tension et en sélectivité différentielle. Les deux mondes—SIG et électricité—partagent :

Nous allons donc faire un glissement sémantique en trois temps : partir des bibliothèques JavaScript de cartographie (Leaflet, MapLibre), passer par la méthode BIM telle qu’elle s’applique en Wallonie et en Flandre, puis atterrir sur votre tableau divisionnaire équipé de différentiels de type B. Vous verrez comment réutiliser concepts et outils open source pour sécuriser et optimiser vos schémas électriques.

1) Cartographie web : principes, outils et bonnes pratiques

1.1 L’empilement pyramidal : tuiles XYZ et hiérarchie des échelles

Dans la cartographie web, la première décision n’est pas le design UI mais le schéma de tuilage. Deux conventions règnent : TMS et XYZ. Toutes deux divisent la Terre en dalles 256 × 256 px ; à chaque niveau de zoom, la densité d’information quadruple. Leaflet simplifie la tâche : une simple URL https://{s}.tile.openstreetmap.org/{z}/{x}/{y}.png et la bibliothèque calcule les dalles à charger.

Un bureau d’études électriques peut transposer ce modèle mental : considérez qu’une armoire, un transformateur ou une borne EV est une « tuile » du réseau, avec ses attributs : puissance apparente, chute de tension, date de maintenance.

1.2 Symbologie : styles CSS et conventions graphiques

Un cartographe ne confond jamais un cours d’eau avec une frontière. De la même façon, un électricien respecte le code couleur : brun, noir ou gris pour la phase, bleu clair pour le neutre, vert/jaune pour la protection. Si vous importez un DXF dans Revit, conservez cette cohérence visuelle : elle évite des erreurs de câblage coûteuses autant qu’un mauvais code couleur sur un atlas induit le lecteur en erreur.

1.3 Cache serveur et workflow collaboratif

Un serveur de tuiles s’appuie sur mod_tile ou TileCache pour servir des milliers de requêtes sans exploser le CPU. En BIM, on parle de modèle central : l’ensemble du bâtiment est conservé dans un fichier maître, tandis que chaque discipline (HVAC, sprinklage, électro) travaille dans des fichiers liés et mis en cache. Vous ne redessinez pas l’architecture ; vous réutilisez le modèle.

2) Du SIG au BIM : rapprocher topographie et coffret électrique

La Belgique, dense et multilingue, privilégie une approche « tout‑en‑un » des projets d’infrastructure. Depuis l’arrêté flamand du 15  septembre 2023, un jumeau numérique est obligatoire pour tout marché public de plus de 2 500 m². Quatre étapes structurent le flux de données :

  1. Import cadastral : conversion Lambert 2008 → EPSG  3857.
  2. Nuage de points LiDAR : précision ±2 cm pour positionner chemins de câbles en faux plafond.
  3. Fusion IFC : l’architecte livre un IFC 4.3 que l’électricien importe dans Revit ; les IFCWall servent d’ancrage aux nourrices verticales.
  4. Extraction BIM → DWG : l’électricien exporte le 2D annoté vers caneco BT pour le calcul des chutes de tension.

Maîtriser ces conversions garantit la continuité de l’information : un câble de 10 mm² dessiné à 1 m au‑dessus du faux plafond BIM doit se matérialiser au même endroit sur le plan papier remis au contrôleur Vincotte. De la même façon qu’une tuile OpenStreetMap incorrectement reprojetée entraîne un décalage sur le terrain, une origine BIM mal placée de 5 cm peut faire rater le passage d’une goulotte derrière un mur coupe‑feu.

Pour réduire ce risque, on applique aux schémas électriques les  recettes de gouvernance SIG :

3) Du schéma topographique au schéma unifilaire : décoder la réforme  AREI 2024

3.1 Pourquoi un schéma unifilaire n’est pas qu’un “plan simplifié”

Le grand public croit parfois qu’un schéma unifilaire se résume à dessiner une ligne, trois symboles de lampe et un disjoncteur. La réalité belge est plus stricte : depuis le 1er  juin 2024, tout nouveau tableau ou toute extension de plus de 50 % doit comporter :

  1. un schéma unifilaire détaillant chaque circuit, la section  (mm²), la longueur (m) et le calibre du disjoncteur (A) ;
  2. un schéma de position localisant prises, points lumineux, boîtes de dérivation ;
  3. un dossier de tracé précisant les chemins de câbles et profondeurs de rainurage.

En d’autres termes, on passe d’une logique “carte routière” à une logique “Google Street View” : on n’indique plus seulement qu’une route existe, on précise la largeur des trottoirs et la hauteur des panneaux.

3.2 Hiérarchie graphique : calques, couches et codes couleur

Comme en cartographie, la lecture rapide dépend de la hiérarchisation visuelle. L’AREI tolère le noir‑blanc, mais le contrôleur appréciera un code couleur cohérent : circuits d’éclairage en orange, circuits prises en rouge, circuits spécialisés (plaques, chauffe‑eau, VE) en violet. Ce n’est pas qu’une question d’esthétique : à Bruxelles, où l’habitat mitoyen multiplie les rénovations, un repérage clair réduit de 40 % les erreurs de reprise sur tableau existant.

3.3 L’équivalent cartographique des “grilles” électriques

Dans Leaflet, on paramètre une grille de longitude/latitude pour afficher un quadrillage métrique. En électricité, la grille est normative : on pose les boîtiers à 1,05 m au‑dessus du sol fini, on place les lignes verticales de câbles dans une « zone protégée » de 20 cm autour des angles. Ces bandes verticales et horizontales agissent comme un référentiel spatial – un maillage invisible dictant où il est autorisé de rainurer un mur. L’analogie cartographique est directe : ne pas sortir de la grille pour ne pas tromper le lecteur… ou le contrôleur.

3.4 Calculs de charge : la “légende numérique” de vos plans

Une carte papier fournit une légende expliquant que telle ligne rouge vaut une autoroute. Un schéma unifilaire, lui, doit contenir les données de calcul : section des conducteurs, puissance installée, facteur de simultanéité. De nombreux logiciels (EcoStruxure, Caneco BT, e‑Plan) permettent aujourd’hui d’injecter ces métadonnées directement dans un bloc symbolique DWG ; le contrôleur scanne le QR Code et vérifie votre calcul de chute de tension sur tablette.

Cet apport rejoint le concept de métadonnées embarquées d’un GeoJSON. Sur la carte, un objet "properties" peut stocker population ou altitude. Dans votre DWG, le bloc “PRISE16A” peut stocker intensité nominale ou longueur de câble. Le parallèle est évident et légitime votre glissement sémantique.

4) Cas pratique : tracer un réseau intérieur dans QGIS et l’exporter vers DWG

4.1 Étape 1 – Importer le plan cadastral

Téléchargez le cadastre open data (Service Public Fédéral Finances) au format .shp. Ouvrez‑le dans QGIS, puis convertissez‑le du Lambert 2008 vers EPSG 3857 pour une compatibilité maximale avec Leaflet.

4.2 Étape 2 – Créer les entités “circuit”

Créez un calque Circuits avec les champs type_circuit, section_mm2, longueur_m, disjoncteur_A. Activez la symbologie “width by expression” afin que l’épaisseur des lignes reflète la section du conducteur : 1,5 mm² → 0,6 pt ; 2,5 mm² → 0,8 pt ; 6 mm² → 1,2 pt. Vous transposez ainsi l’idée cartographique « largeur de ligne = importance de voie » à la capacité électrique.

4.3 Étape 3 – Séparer chemins et terminaux

Ajoutez un second calque ponctuel Terminaux pour prises, luminaires, bocaux de connexion. Dans QGIS, vous pouvez créer un lien relationnel 1→N entre un circuit (ligne) et ses terminaux (points), équivalent au relation id d’OpenStreetMap. Cette base attributaire facilitera l’export dans Caneco BT ; chaque terminal héritera automatiquement du calibre de disjoncteur et du type de différentiel.

4.4 Étape 4 – Exporter vers DWG et intégrer au BIM

Depuis QGIS 3.34, l’export DWG a gagné en robustesse ; cochez « Convert labels to MTEXT » pour que les repères soient lisibles dans AutoCAD LT. Votre bureau d’études structure intègre ensuite le DWG dans Revit, tandis que vous importez le même fichier dans EcoStruxure Power Design ; grâce aux attributs pré‑remplis, le logiciel calcule d’emblée la chute de tension et pré‑dimensionne le coffret divisionnaire.

Superposition des circuits sur le plan d'architecte
Figure 1 : Circuit d’éclairage (orange) et prises (rouge) superposés sur la trame architecturale avant export DWG.

4.5 Étape 5 – Importer dans Caneco BT pour la vérification AREI

Dans Caneco, sélectionnez « Import DWG → attributs étendus ». Le logiciel reconnaît vos champs section_mm2 et longueur_m, calcule l’impédance de boucle et vérifie la protection par coupure automatique. Vous gagnez ainsi 2 h de saisie manuelle sur un appartement type de 90 m².

5) Choisir le matériel adéquat : câbles, armoires et appareillage certifiés Belgique

Une cartographie précise ne suffit pas ; il faut ensuite sélectionner un matériel électrique conforme. Les sections ci‑dessous offrent une synthèse rapide ; chaque lien mène vers une fiche détaillée :

Câbles & conducteurs
XVB‑F2 3G2,5 mm² pour circuits prises, EXVB enterré ≥ 60 cm sous avertisseur rouge, réaction au feu Dca‑s2‑d1.
Armoires et coffrets
Coffrets Legrand XL³‑160 ou Niko HomeControl ; rails DIN évidés pour meilleure dissipation thermique.
Tableaux divisionnaires
Prévoyez 20 % de modules libres pour extensions futures (borne VE, panneaux PV, pompe à chaleur).

Ces gammes sont stockées par Matoselec et distribuées en click‑and‑collect. Comparez toujours les prix TTC 21 % ; la marge varie jusqu’à 15 % selon la région.

6) Bonnes pratiques : workflow “carto → élec” prêt pour l’AREI

6.1 Versionner vos plans comme un SIG

Un projet Leaflet évolue sous Git : main pour la prod, dev pour les essais de style. Reprenez ce réflexe côté électricité : branche main pour la version validée par le bureau de contrôle, branche renov_cuisine pour l’extension d’une pièce. Vous éviterez les fichiers “v2_final_definitif.dwg” impossibles à comparer.

6.2 Automatiser les exports – l’équivalent d’un cache tuiles

Dans un serveur cartographique, un script cron met à jour les tuiles modifiées. Faites de même avec vos schémas : un script ogr2ogr convertit chaque nuit vos couches QGIS en DWG, génère le PDF signé et le dépose dans le dossier partagé avec le contrôleur Vincotte ou AIB‑Vinçotte. Gain : vos parties prenantes disposent toujours de la version “fraîche”.

6.3 Contrôle qualité par script

Les cartographes utilisent osm‑lint pour détecter routes coupées. Côté électricité, un script Python peut parcourir votre tableau Excel d’inventaire, ouvrir le DWG via ezdxf et vérifier que chaque disjoncteur déclaré existe réellement dans le plan. Ce test automatisé réduit de 30 % les remarques du contrôleur sur des installations pilotes menées à Liège en 2024.

6.4 Documentation : métadonnées embarquées

Chaque couche SIG comporte auteur, date, licence. Faites pareil : remplissez la palette DWGPROPS ; consignez la température ambiante de référence (30 °C) et l’altitude (influence sur la dissipation). Ce sont autant d’arguments pour le rapport final d’inspection.

Conclusion : la carte éclaire le courant

Dessiner une carte et câbler un bâtiment reposent sur le même dogme : la donnée juste, au bon endroit, au bon moment. Les carrefours deviennent des tableaux, les routes des câbles, les points d’intérêt des luminaires. En réutilisant vos réflexes SIG – tuiles, couches, mise en cache, métadonnées – vous bâtissez des schémas électriques plus sûrs, plus clairs et pleinement conformes à l’AREI  2024.